edition 2025 - thème : les couleurs
Textes lauréats
de l’édition 2025 du concours
Le Goût de la plume
Catégorie adulte :
1er prix : Les yeux de Lucie par Marie Joëlle Dejouet
2eme prix : La couleur de ton parfum
3e prix : L’alchimie de la lumière
Catégorie jeune :
1er prix : Le roi qui détestait les couleurs
2eme prix : Carmen aux os de vert
3e prix : De la couleur à la pénombre
Les yeux de Lucie
MARIE-JOËLLE DEJOUET
1er prix de la catégorie adulte
Gauthier et Alice étaient tous les deux violonistes et c’est au hasard d’un concert pour lequel
ils étaient remplaçants qu’ils s’étaient rencontrés. Deux personnes réservés et timides réunis
par l’amour de la musique et précisément ce jour là par l’amour de Brahms.
Les choses s’étaient faites naturellement entre eux. Hormis la musique, ils partageaient le même appétit pour la peinture et la poésie. Ils s’en émerveillaient chaque jour. Cependant, un autre point commun qu’ils ignoraient alors allait changer radicalement leur vie.
Très vite ils prirent un appartement et entre deux engagements passèrent beaucoup de temps à repeindre et à décorer leur petit nid. Ils se mirent d’accord sur les teintes des murs sans trop de mal. Ils chinèrent quelques meubles et accrochèrent leurs tableaux préférés. Leur intérieur devait leur ressembler : apaisant et confortable mais aussi stimulant et un peu décalé.
Il ne restait plus qu’une pièce à décorer, la chambre de leur futur bébé. Ils approchaient tous
les deux de la quarantaine et c’était une évidence pour eux. Ils désiraient avoir rapidement un enfant.
Alice tomba enceinte à l’aube de ses 38 ans .Très vite ils voulurent connaitre le sexe du bébé.
C’était une fille et elle s’appellerait Lucie, le prénom de la grand-mère de Gauthier.
L’aménagement de la chambre pouvait être engagé. Alice voulait la peindre en rose et gris pâle et Gauthier en vert d’eau et blanc. Ce fut Alice qui l’emporta et la chambre fut rapidement pourvue de tout le nécessaire pour le confort et l’éveil de bébé.
Lucie, bien que n’étant pas encore née était déjà un bébé choyé. On lui faisait entendre de la musique, on lui racontait des histoires et on lui chantait des petites comptines. Alice en affectionnait une particulièrement car sa maman la lui chantait quand elle était petite. Elle l’avait un peu adaptée et elle disait cela.
Le monde est
Bleu comme un ciel d’été
Vert comme l’herbe des prés
Jaune comme le soleil doré
Rouge comme la vitalité
Rose comme un ciel en soirée
Tu le verras bientôt mon joli bébé
Malgré toute la quiétude et la sécurité que devaient lui procurer toutes ces attentions, Lucie
décida de découvrir le monde le 16 mars 2023, quelques jours avant le printemps.
C’était un beau bébé de 3.5 kilos. Elle s’appropria les seins d’Alice avec détermination et comme on continua à la bercer de musique, d’histoires et de chants le passage d’un environnement aquatique à un environnement terrien ne la perturba presque pas. Cependant Alice et Gauthier s’inquiétaient : ils avaient remarqué que Lucie souffrait d’une forte intolérance à la lumière. Cette inquiétude était partagée par le pédiatre qui proposa de faire un examen afin de diagnostiquer une éventuelle achromatopsie. Il s’avéra qu’elle en était atteinte.
A cause de cette affection touchant la rétine, elle ne pourrait pas distinguer les couleurs hormis le noir et le blanc et souffrirait d’une acuité visuelle diminuée. C’était une maladie héréditaire et par malchance, Alice et Gauthier, bien que n’étant pas malades, étaient tous les deux porteurs du gène défectueux responsable de sa transmission. Un point commun qu’ils auraient préféré ne pas partager.
Les parents, les deux familles, tout le monde était consterné ; Il n’existait à ce jour aucun traitement. C’était injuste ! Leur jolie petite fille ne pouvait pas être malade !
Heureusement après la colère et le désespoir c’est Lucie qui leur montra le chemin. Elle ne s’interdisait aucun apprentissage et supportait vaillamment de porter des petites lunettes pour la protéger de la lumière et améliorer sa vision. Pour Alice et Gauthier un monde sans couleur était difficile à imaginer mais pour Lucie, le monde avait beau être noir et blanc il était quand même à conquérir. Toutefois si son handicap l’obligeait à s’adapter, il la coupait souvent de ses copains de la crèche pour qui l’apprentissage des couleurs n’était qu’une formalité.
Comme cela la chagrinait beaucoup, en parents aimant et un peu poètes, Alice et Gauthier décidèrent qu’ils allaient non pas lui apprendre à reconnaitre les couleurs mais à les lui faire ressentir.
Pour se faire ils inventèrent leur méthode. Comme Lucie était encore bien petite ils utiliseraient, dans un premier temps la comptine qu’ils lui chantaient quand elle était encore dans le ventre maternel. A chaque couleur ils associeraient une image en noir et blanc telle que la voyait Lucie avec la même image en couleur. Pour compléter ils lui adjoindraient des mots évocateurs et des notes de musiques.
Lucie trouva cela plutôt amusant. Ils commencèrent par la couleur bleu. Ils furent très étonnés de l’entendre chanter très naturellement la comptine sans qu’ils la lui aient apprise. La transmission intra utérine avait bien fonctionné.
Aussi au monde est
Bleu comme un ciel d’été. Ils ajoutèrent bleu comme le silence, bleu comme la robe préférée
de mamy jeanne, être bleu de froid, bleu comme la note do.
Vert comme l’herbe des prés, ils lièrent vert comme le printemps, vert comme la voiture de
papa, avoir la main verte, la note ré.
Rouge comme la vitalité, ils associèrent rouge comme la pomme de la méchante sorcière dans blanche neige, rouge comme le grand sac à main de maman, être rouge de colère, la note mi.
Jaune comme le soleil doré. Ils relièrent jaune comme le citron acide, jaune comme Mr coincoin, jaune comme franchir la ligne jaune, la note fa.
Rose comme un ciel en soirée, ils ajoutèrent rose comme les roses du jardin, rose comme ton doudou préféré, être né dans une rose, la note sol.
Les notes la, si do viendraient plus tard avec d’autres couleurs. Il fallait roder la méthode et comme tout le monde se prit au jeu elle perdura en s’enrichissant.
Lucie grandit en surmontant chaque jour les difficultés liées à son handicap mais aussi en reliant son environnement au paysage intérieur que ses parents l’avaient aidé à construire. En plus d’imaginer et de ressentir des couleurs qu’elle ne verrait jamais elle avait appris la musique des mots et celle des notes. Des notes noires et blanches, comme l’univers dans lequel la maladie la réduisait mais qui égaieraient sa vie. Le monde n’avait qu’à bien se tenir, elle serait musicienne comme papa et maman.
La couleur de ton parfum
ISABELLA SENISE
2ème prix de la catégorie adulte
— C’est quoi ta couleur préférée, Betinho ?
Clara lui a posé cette question et a été tout de suite jugée par Ana, qui baissa le livre qu’elle faisait semblant de lire pour lui lancer un regard désapprobateur.
Betinho change de sujet :
— Tu es prête pour le test de math ?
À la fin de la journée, Betinho tournait le dos à la rue quand il sentit une main toucher son épaule.
— Maman !
Maria le prend dans ses bras.
— Parfum de jasmin, maman ?
— Oui, Betinho ! J’en ai acheté un nouveau. Viens, mon fils.
Maria lui prend par la main et la serre avec un peu de force.
— Maman, lâche-moi un peu, je peux traverser tout seul ! Mes collègues le font !
— Ça va venir, mon chéri. Faut donner du temps au temps. En tout cas, il faut attendre le feu vert.
Betinho compte mentalement : 1, 2, 3, 4…
— C’est bon, c’est vert, maman !
En rentrant à la maison, il range tout de suite son cartable sous l’escalier mais pas avant de trébucher sur le cartable rouge de Lana.
— Merde ! Lana, ça ne te coûte rien de ranger tes affaires où il le faut !
— Désolée, Betinho ! T’as raison !
C’était jeudi et les jeudis ils mangeaient de la pâte avec de la sauce tomate. Betinho n’avait pas trop faim. Il enroulait les spaghettis autour de la fourchette et les déroulait sans s’arrêter.
— Maman, c’est quoi ta couleur préférée ?
— Je ne sais pas mon fils, je pense que c’est le bleu.
— Pourquoi ?
— Parce que le bleu me tranquillise. M’apporte un peu de paix…
— Ah, comme la maison de mamie ?
— Mais la maison de mamie n’est pas bleue, Betinho. Il y a le mur bleu de la bibliothèque, mais c’est tout.
— Mais je me sens en paix chez mamie, maman.
— Ah, faut lui dire de peindre les murs de bleu alors ! Mais avant il faut manger, Betinho. Tu vas pas vraiment finir ?
— Non. Je n’ai pas trop faim. Il y a une pomme ?
— Des pommes vertes, oui.
— Sinon ce serait quoi comme couleur ?
— Rouge, parfois jaune. Mais ici vous préférez tous les pommes vertes.
En cherchant dans sa mémoire, il n’était pas très sûr d’avoir goûté les autres couleurs de pomme. Peut-être que son truc était vraiment la verte.
— Ahh, je veux une pomme verte alors. Mais avec du miel, ok maman ?
Betinho mâchait la pomme. C’est vrai… Qu’est-ce qu’il aimait les pommes vertes. Un petit peu aigre, mais le contraste avec le miel apportait quelque chose d’assez spécial. Subtil, d’une douce amertume. Betinho aimait beaucoup les contrastes. Comme ceux qu’il avait commencé à apprendre dans ses cours de piano. Grave, aigu, pianissimo, piano, mezzo piano, forte…
— Maman, je peux jouer un peu du piano avant de faire mes devoirs ?
Il tire le tabouret du piano qui avait été de son arrière-grand-mère. C’était un piano magnifique, mais l’accordeur avait dit qu’il était dans la limite de l’accordage. C’est normal pour un instrument de plus de 100 ans.
Il touche le do central. Un peu désaccordé mais ça va. Son index touche le do dièse. Il savait que les touches noires sont normalement un peu plus dissonantes, donc c’est normal. Alors il touche la ré. Là, ça n’allait pas. Du tout. Le mi non plus, ni le sol.
— Maman, le Monsieur avait raison. Ça commence à être trop désaccordé. Et les touches blanches sont un peu plus désaccordées. Les noires je pense que c’est plutôt le la dièse central. Le reste, ça va.
— Quand ce sera possible on achètera un nouveau piano pour toi, d’accord mon fils ? Mais maintenant il faut bien étudier pour qu’on soit sûr que tu aimes bien le piano avant d’investir dans un nouveau. Essaye de ne pas faire autant d’attention aux notes désaccordées.
Betinho a essayé. C’était dur dur pour lui. C’était presque comme s’il voyait la vibration étrange qui sortait des cordes à l’intérieur du piano, comme s’il faisait une radiographie du piano de son arrière-mamie.
— Allez, Betinho ! Tu dois faire tes devoirs maintenant.
— Ahhh non !!! Lana n’a même pas commencé les siens et elle rentre de l’école avant moi. Ce n’est pas juste ça.
— Mais Lana est dans sa chambre à l’étage, Betinho. Comment tu peux dire qu’elle n’a pas commencé ses devoirs ?
— Parce que je l’entends parler au téléphone, maman. Tout simplement.
Maria a marché vers le bord de l’escalier.
— Je n’entends rien, Betinho. Arrête d’inventer.
Lana a criée de sa chambre :
— Maman, je peux dîner chez Béa ??? Elle me demande si je peux y aller mais je dois répondre maintenant, parce que sa mère veut savoir ce qu’elle fait à manger !
Betinho haussa les épaules.
Passées ses excuses pour ne pas faire les devoirs, il prend ses stylos et une feuille blanche avec quelques exercices de maths.
— La prof a dit qu’il fallait aux parents marquer en bleu ce qu’on a fait correctement et en rouge les erreurs, d’accord ? C’est pour mieux se préparer pour le test de demain.
— D’accord. Allez. 9X8.
— 72
— 9X6
— 54
— 9X3
— 27
— Betinho, pour l’instant c’est tout bleu, mon fils !
— 9X12
— 107
— Non. 108. Rouge cette fois-ci, désolée.
— Mais maman, pourquoi l’erreur est rouge ?
— J’en sais rien, Betinho.
— Le rouge est moche ?
— Non, mais il marque les erreurs, je ne sais pas pourquoi.
— Mais pourquoi le rouge marque les erreurs si on m’a dit que le rouge est la couleur
de l’amour ? L’amour est une erreur ?
Maria rit. Elle n’avait jamais pensé à ça.
— L’amour n’est pas une erreur, Betinho. Il peut y être parfois, mais pas toujours.
— Et pourquoi, alors, toi et papa se sont séparés ?
— Parce que nous avons décidé de suivre des chemins différents. Mais on a une chose en commun qui nous unit encore : l’amour pour toi et pour Lana. Et ça, ça c’est très beau, Betinho.
— Tu me trouves beau, maman ?
— Oui, mon amour. Tu es très, très beau.
— Et toi, maman ? Tu es belle ?
— Ça c’est à toi de me dire, mon fils.
Betinho pose ses mains sur les joues de Maria. Après il touche doucement ses cheveux.
— Tes cheveux sont comme les miens, ne-ce pas ?
— Oui, Betinho. Brun foncé.
— Alors comme de Lana aussi.
— Oui, mon chéri.
Betinho glisse ses mains en direction des yeux de sa mère. Il sent doucement ses paupières.
— Maman.
— Oui, Betinho.
— Tes yeux sont aussi de la même couleur que les miens ?
— Oui, mon amour. Verts comme les tiens.
— Mais pourquoi, alors, tu peux voir et moi non ?
— Tu vois beaucoup plus que moi, mon fils. Tes yeux verts brillent quand tu vois le temps des piétons, le goût de la pomme, le ré dièse, le parfum de maman. C’est beau à voir comme tu vois.
Betinho arrive le lendemain à l’école pour le test de math. Mais avant de commencer, il marche jusqu’à la table de Clara, trois derrière la sienne.
— Coucou, Clara. Ma couleur préférée est le vert!
Clara sourit. C’était aussi la sienne.
L’alchimie de la lumière
LISE BREZEPHIN
3ème prix de la catégorie adulte
J’éprouve un véritable bonheur en ce début d’année, car depuis quelque temps, la nature a pris ses quartiers d’hibernation. Je profite de cette fraîche parenthèse pour apporter un peu de chaleur dans votre quotidien et pour vous parler de moi. Quelle merveilleuse couleur je suis !
Observez-moi attentivement et ressentez l’incomparable clarté que je dégage. Comme le soleil à son zénith, je suis généreuse en brillance et en luminosité. Je suis fière d’avoir la faculté de vous éblouir.
J’ai longtemps été méprisée et ma reconnaissance fut laborieuse. En effet, à une époque de ma vie, mon destin a été étroitement associé à la couleur jaune verdâtre, connu sous le nom grec de « khlôros ». Cette expression, en faisant un amalgame, nous désignait toutes les deux.
Comment pouvait-on me comparer à ce « jaune passé » alors que je suis authentique étant donné que je suis une couleur primaire ?
Je suis la moins aimée des couleurs. Pourtant, dans l’Antiquité, les Romaines m’appréciaient énormément. Elles ne rechignaient pas à me porter, tant pour de fastueuses cérémonies que pour des mariages grandioses. Et que dire de la Chine, où j’étais réservée à l’Empereur ?
Quiconque, autre que lui, osait me porter, risquait la peine de mort. Aujourd’hui encore, j’occupe une place importante dans la vie quotidienne des Asiatiques, car ils m’associent à la richesse, au pouvoir et à la sagesse.
Ma disgrâce remonte, j’en suis convaincue, très probablement au Moyen-âge. Durant cette période, j’ai dû faire face à la concurrence déloyale de l’or. L’apogée de cette couleur dorée a absorbé tous mes aspects positifs tels que le soleil, la chaleur, la lumière, la vie, l’énergie, la joie, et même la puissance. Dès lors, je suis devenue une pâle et triste couleur. Une couleur qui rappelle l’automne avec ses feuilles mortes qui tapissent les sous-bois, le déclin avec les photos jaunies, et même la maladie avec pour exemples la jaunisse et la fièvre jaune. Pis encore, je me suis transformée en symbole de trahison, de tromperie et de mensonge. Pauvre de moi, je suis la seule couleur à n’avoir conservé que mes aspects négatifs.
Posez votre regard sur des tableaux représentant Judas, l’un des disciples du Christ. Aucun texte évangélique ne décrit la couleur de ses cheveux ni celle de sa robe. Pourtant, en Angleterre, en Allemagne et dans toute l’Europe occidentale, une évolution significative s’est faite. Il était représenté avec des cheveux roux. Mais à partir du XIIe siècle, c’est sa robe qui retient l’attention. Il n’y a pas de mystères, car les textes de l’époque disent clairement que je suis la couleur des traîtres. Et cette idée a traversé les décennies. Au cours du XIXe siècle, les maris trompés étaient caricaturés en costume jaune ou affublés d’une cravate jaune. Quelle infamie à mon encontre !
Je me suis toujours demandé pourquoi on m’a associée au mensonge. Ma teinte, élaborée à partir de plantes comme la gaude, une sorte de réséda, offre une stabilité égale en teinture et en peinture. Les jaunes à base de sulfure tels que l’orpiment ou le safran ont les mêmes qualités. Ils sont résistants et ne trompent pas les artisans comme ferait la couleur verte. Alors pourquoi mensonge ?
J’en suis venue à me dire que ma mauvaise réputation était sûrement due à l’une de mes composantes, le soufre. Il paraît qu’il provoquait quelques troubles mentaux. En réalité, je crois profondément que c’est Judas, qui a transmis ma couleur symbolique à l’ensemble des communautés juives, d’abord dans les images, puis dans la société.
Après l’échec des croisades, on a cherché des ennemis internes et on a ainsi acquis une mentalité d’assiégé. Cela a provoqué une extraordinaire intolérance envers les non-chrétiens qui vivaient en terres chrétiennes, comme les Juifs, et envers les déviants, tels les hérétiques, les cathares ou les sorciers. Pour les répertorier, on leur a créé des codes et des vêtements d’infamie. Chez les Protestants, l’esprit d’exclusion ne s’est pourtant pas apaisé avec la Réforme. En terre huguenote, on a manifesté le même rejet des Juifs et des hérétiques.
C’est ainsi qu’au XIIe siècle, les conciles se prononcent contre le mariage entre chrétiens et juifs. Ils demandent à ce que ces derniers portent un signe distinctif. Au début, c’est une rouelle, ou une figure comme les tables de la Loi ou encore une étoile qui évoque l’Orient. En instituant le port de l’étoile jaune, les nazis ont puisé dans l’éventail des symboles médiévaux.
Cette marque était d’autant plus forte que ma couleur se distinguait sur les vêtements des années 1930 plutôt gris, noirs ou bleu foncé.
La Renaissance ne changea pas mon statut. Je régresse de plus en plus dans la palette des peintres occidentaux des XVIe et XVIIe siècles, malgré l’apparition de nouveaux pigments comme le jaune de Naples qui était utilisé par les peintres hollandais. On ne m’utilise que pour montrer les traîtres et les félons. Mais, heureusement, les impressionnistes sont arrivés.
Je dis merci à monsieur Van Gogh qui me sublimera grâce à ses « Tournesols » et à ses « Champs de blés ».
Vers 1860, des changements profonds se produisent dans l’art pictural. Les peintres passent de la peinture en atelier à la peinture en extérieur, puis de l’art figuratif au semi-figuratif, enfin à la peinture abstraite. C’est à ce moment que l’art se donne une caution scientifique et affirme qu’il existe trois couleurs primaires qui sont le bleu, le rouge et moi-même, le jaune. Enfin, ma reconnaissance ! Je suis subitement valorisée et réhabilitée.
Malgré ce retour dans l’estime, je ne suis jamais parvenue à me défaire de mes oripeaux qui restent gravés dans le marbre. Par exemple, rire jaune qui insinue la fausseté dans le rire, avoir le teint jaune pour la maladie. Je ne sais pas pourquoi le gréviste est désigné comme étant un « jaune », même si cela se justifie peut-être par le biais des « gilets jaunes ». Bien que des revendications soient fondées, ils véhiculent l’idée de rébellion.
Heureusement, ma couleur s’est imposée dans de nombreux domaines, et cela me réconforte.
Ainsi, en 1962, La Poste a adopté ma couleur sur ses boîtes aux lettres ainsi que sur ses véhicules afin qu’ils soient bien visibles par mauvais temps. Citroën a conçu un ton spécial pour moi et je suis devenue le jaune PTT.
Aux États-Unis, depuis 1915, les taxis de New-York sont jaunes. Le créateur de la Yellow Cab Company avait bien compris que j’étais la plus reconnaissable à distance. Par ailleurs, si le maillot du gagnant du Tour de France est jaune, il le doit à un journal sportif de l’époque (l’Auto), qui imprimait ses articles sur un papier jauni. Fait étrange et immuable je reste le carton jaune du football. Quel symbole !
Malgré la mauvaise réputation dont je ne puis me défaire, je survis, car je suis consciente de la place que j’occupe. Mon rayonnement fait le lien entre passé, présent et pourquoi pas avenir, dans un cycle éternel d’inspiration et de lumière. Je continue mon histoire et rappelle à chacun que, même dans les moments les plus sombres, il y a toujours une lueur d’espoir. Comme le soleil qui se lève chaque jour, je symbolise la promesse d’un nouveau départ et le souffle que l’on peut trouver dans les simples beautés de la vie.
Le roi qui détestait les couleurs
YELIZ SALIM
1er prix de la catégorie jeune
Il était une fois un roi qui avait perdu sa femme. Comme il était trop triste, il décida de retirer toutes les couleurs du royaume et de les mettre dans une boîte magique, afin que tout le monde soit triste comme lui.
Dans ce royaume, il y avait une petite fille qui adorait tellement les couleurs qu’elle souffrait plus que les autres. Malheureusement, l’arc-en-ciel, le bleu de la mer et la verdure des arbres et des herbes avaient disparu. Un jour, la petite fille décida d’agir. Son oncle était un chevalier proche du roi, et il lui avait confié un laissez-passer pour se rendre au château afin de rencontrer le roi triste.
À l’aide de son cheval, elle se dirigea vers le château. Lorsqu’elle arriva, elle se rendit dans la salle de réception du roi, qui donnait sur un jardin majestueux. Le roi hurlait et pleurait : « Je déteste les couleurs ! Les couleurs, c’est la vie, et ma femme a perdu la vie. »
Le roi remarqua la présence de la fille : « Que fais-tu ici ? »
Maligne et craintive, elle dit s’être perdue et qu’elle cherchait son oncle, le chevalier. Puis répliqua : « Il n’y a personne autour de vous, ni chevalier ni serviteurs ; je vous vois bien seul, mon bon roi. »
Le roi apprécia que cette enfant s’inquiète pour lui. Depuis la mort de la reine, il ne parlait plus à personne.
« Ma reine était une femme magnifique qui avait fait la Place Colorée de l’Arc-en-ciel, la Place Bleue des Marins… Et toutes ces places sont grises maintenant. »
« Ce n’est pas juste de laisser le royaume sans couleurs, et la reine ne serait pas fière de voir un tel comportement ! Votre femme a perdu la vie, mais la vie continue », dit la petite fille.
Le roi tomba par terre, s’effondrant pour de bon.
« C’est vrai, ma petite fille, ma femme adorait les couleurs. »
Il donna la boîte à la petite fille et lui demanda de l’ouvrir. Un sublime feu de couleurs en sortit ; tout dans le ciel chantonnait et scintillait de mille éclats. Après cette chorégraphie, chaque couleur reprit sa place.
Carmen aux os de vert
ASSIA EL ANSARI
2ème prix de la catégorie jeune
Prologue
Maria et Jeff sont mariés depuis maintenant dix ans. Ils vivent tous les deux seuls dans un petit appartement en banlieue de Paris. Le couple vit dans des conditions de vie affreusement sinistres. Ils sont très pauvres, et n’ont pas de famille pour les aider. Maria travaille dans une laverie, dans une petite ruelle éloignée du centre ville.
Jeff, lui, travaille dans une grande entreprise qui fabrique des cacahuètes. La marque est très connue dans le pays tout entier. La marque s’appelle Choc Peanuts. Jeff gagne plus que Maria, mais leur budget est de 900 € par mois sans les factures. Mais le plus dur dans leur vie était qu’ils n’avaient pas d’enfant. Tous les jours, ils imaginaient qu’un enfant tomberait du ciel, et qu’une grande maison leur soit offerte.
Mais tous les soirs, à table, ils se lamentaient, et allaient se coucher sans rien dans le ventre, mais avec une grosse boule dans la gorge. Dix ans que cela durait. A force, ils commençaient à ne plus y croire. Un enfant et une maison, ça ne tombe pas du ciel ! Mais après tout… pourquoi pas ? …
I – Le miracle
Un jour, tout aussi sinistre que d’autres, alors que Maria et Jeffe travaillaient, quelqu’un sonna chez eux. C’était le facteur. D’habitude, personne ne leur envoyait jamais rien. Cela devait bien faire cinq six ans qu’ils n’avaient pas reçu de lettre ou de colis à part les factures. Comme personne n’était dans l’appartement, le facteur déposa le colis sur le pas de la porte, et partit.
Le soir, vers vingt heures, quand le couple revint chez lui, ils virent le colis. Qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Ils se posèrent sur une chaise et prirent le colis dans leurs bras. Maria déscotcha délicatement le gros scotch, et quand elle eut fini, Jeff tira les deux bouts de carton comme s’ils étaient les portes qui mènent au paradis. Quand il fut entré (au paradis), ils n’en crurent pas leurs yeux, la chose la plus belle qu’ils aient vu de toute leur vie : un enfant.
II – La rencontre
L’enfant devait avoir un ou deux mois maximum. Il les regardait en leur souriant, comme s’ ils étaient ses parents. Maria et Jeff poussèrent des cris de joie, des pleurs, ils prièrent et remercièrent leurs dieux de leur avoir fait un si beau cadeau.
Soudain, Maria pensa à quelque chose qui les rendrait plus tristes que tout, son mari et elle : et si l’enfant n’était pas pour eux. Et si le facteur s’était trompé de maison.
Dès le lendemain, ils étaient allés à la mairie pour signaler l’apparition soudaine de cet enfant. Le bébé avait déjà un dossier, il était né le 3 février à l’hôpital et maternité de Paris. Sur le dossier il y avait aussi écrit que l’enfant avait été classé sous X mais avait rapidement été adopté par le couple : les Mariposas. Les parents, déçus, partirent le cœur brisé, mais c’est seulement en tirant la poignée de la porte que Maria cria :
– Mais les Mariposas, c’est nous !!
Ils s’empressèrent de retourner prendre l’enfant, mais plusieurs choses leur échappaient :
– Comment l’enfant s’appelle ? Dit Jeff à l’employé municipal.
– L’enfant que vous tenez dans vos bras est une jeune fille au nom de Carmen, Carmen Mariposas.
III – Une belle enfance
Après le grand bouleversement qui venait d’arriver au couple, l’employé les retint.
– Un instant, les Mariposas, je crois que le maire souhaiterait entretenir une discussion avec vous.
Une boule se forma dans le ventre de Maria et de Jeff. L’employé les fit entrer dans une grande pièce aux murs blancs. Soudain, le maire entra d’une façon théâtrale.
– Jeff !
– Thierry ?!
Jeff n’en croyait pas ses yeux ; Thierry était son meilleur ami, quand ils avaient treize ans. Après de longs
blablas entre hommes, Jeff sortit de la salle tout penaud.
– Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Maria.
– Thierry vient de nous offrir une somme d’argent, un nouveau travail à la mairie, et une maison.
Une semaine, pendant une semaine, le couple n’arriva pas à y croire. C’était la vie de rêve.
IV – Une belle enfance (partie 2)
Cinq ans passèrent chez les Mariposas. Ils gagnèrent bien mieux leur vie maintenant, et ils vivaient dans une belle et grande maison moderne avec leur fille, Carmen. La vie était belle, sans souci.
Carmen avait maintenant cinq ans.
Elle allait à l’école, comme tous les enfants de son âge, mais elle ne mangeait pas à la cantine, elle allait manger à la mairie, avec ses parents et son parent, Thierry. Thierry était très vite devenu proche du couple, mais aussi de la petite Carmen. Dans la grande maison, Carmen avait sa chambre, une salle de jeux, et une bibliothèque. A son âge, les enfants apprennent à lire et à écrire, mais elle lisait déjà de gros romans de trois cents voire quatre cents pages. Mais ne faisons pas de ce livre un « Mathilda 2 »…
Les années passèrent de plus en plus vite, elle avait maintenant douze ans. Mais elle avait encore le même caractère de jeune fille courageuse, intelligente, drôle et aventurière. Ce qui faisait d’elle, Carmen.
V – Le malheur
Un jour, alors que Carmen et ses parents étaient chez le médecin, le docteur voulut parler aux parents :
– On a repéré quelque chose d’anormal chez elle, il y a déjà un an et demi. Après avoir identifié longuement son sang, on a trouvé une maladie extrêmement rare, 0,0001 personne sur 20 000 000 l’ont : l’ostéogenèse. Vous la connaissez peut-être sous un autre nom : la maladie des os de verre. Elle va bientôt être tellement fragile que quand elle écrira une lettre, son poignet se fracassera en mille morceaux. Vous n’aviez pas remarqué qu’elle devenait extrêmement fragile ?
– Maintenant que vous le dites… Elle a souvent mal aux doigts quand elle écrit, mais ses professeurs ne la croient pas… rassurez-nous, Docteur, la maladie n’est pas mortelle ?
Le médecin baissa les yeux.
– Je suis désolé, dit-il.
Il y eut environ deux secondes d’apnée pour les parents avant qu’ils ne fondent en larmes. La chose la plus précieuse qu’ils aient au monde était leur fille, et on allait leur enlever ?
– Combien de temps ? dit Jeff en larmes.
– Une ou deux semaines.
Le médecin baissa les yeux et partit.
– Je vous laisse un moment, dit-il en tirant la porte de sa salle, allant rejoindre Carmen qui commençait à s’impatienter.
VI – Malheur, malheur / Bonheur, bonheur ?
Quand les parents expliquèrent le soir ce qu’ils avaient appris, Carmen compris mais sans pleurer, dit :
– Profitons. Profitons du peu de temps qu’il nous reste.
Dès le lendemain, la famille partit dans de grands parcs d’attraction, puis ils rendirent une petite visite à Thierry.
Pendant une semaine, ce fut comme ça, quand soudain, en pleine attraction, Carmen s’écroula. La manège n’en finissait pas. Mais quand ils furent enfin à terre, Jeff lui fit un massage cardiaque et Maria appela les pompiers.
Au même hôpital où Carmen était née, Maria et Jeff entendirent les bruits d’électrochocs qui les faisaient sursauter à chaque fois, enlevant petit à petit leur espoir. Le bruit de l’électrochoc dura environ dix minutes, mais pour le couple, cela leur paraissait infini. Au bout de treize heures, une infirmière sortit.
– Alors ? dit le couple.
– Je suis désolée. C’est fini.
Cette phrase leur arracha leur âme et leur cœur.
– Vous voulez lui dire au revoir ? dit l’infirmière.
Les parents se penchèrent sur leur lit de mort.
– Ça en valait la peine. C’était court, mais cela en valait la peine. Tu auras eu une vie courte, certes, mais heureuse. Comment va-t-on faire ? Chaque moment avec toi vaut plus que de l’or. Car tu es entré par effraction, sans toquer, mais tu es aussi partie sans dire au revoir. Mais tu as réussi à mettre de la couleur dans notre vie, il n’y a que ça qui compte à présent. Alors, merci.
De la couleur à la pénombre
MERIEM EL HADDAJI
3ème prix de la catégorie jeune
Le rouge de la rose
Le vert de l’herbe
L’orange de la rosée du ciel
Le bleu de l’aube
Couleurs vivantes et espoir de vie
Couleurs sombres et fin de vie